Tamines, rue des Bachères, cimetière – 15/09/2019
Vendredi 21 août 1914
Les habitants de la section de la Praile étaient toujours
retenus prisonniers chez M. Mouffe ; le commandant allemand, sous menace
de fusiller des hommes, exigea la présence du bourgmestre et d’un médecin. Il
délégua plusieurs personnes chez le premier magistrat de la commune. M. Guiot,
faisant fonctions de bourgmestre, avait pris la fuite dès le matin. A son
défaut, la responsabilité incombait au premier échevin, M. Lalieu, docteur en
médecine, qui, pressenti par M. Emile Duculot, conseiller communal, accepta
d’abord, puis pratiquement refusa de se rendre au-devant des Allemands.
Alors, M. Duculot, accompagné du docteur Defosse, de M.
Ferauge, président de la Crois-Rouge, et de quelques brancardiers prit sur lui
d’affronter le danger. A la Praile, M. Duculot et M. le Dr Defosse s’arrêtèrent
devant l’officier ; il tenait le milieu de la route et était porteur d’une
carte de l’Etat-major et de jumelles de campagne. Il posa la question :
« Qui est le bourgmestre ? ». M. Duculot répondit que le bourgmestre
étant parti, il se présentait à sa place. « Les civils ont tiré sur
nous », déclara l’officier. M. Duculot protesta avec énergie, soutenant
que l’autorité communale avait fait placarder des affiches pour obliger les
habitants à déposer leurs armes à la Maison communale, que le public était
averti qu’on ne pouvait poser aucun acte d’hostilité contre les belligérants,
et que l’affirmation de de l’officier était invraisemblable. Celui-ci dit alors
que les soldats avaient déjà pris trois revolvers, mais il ne les montra pas.
L’officier pria M. le Dr Defosse de soigner le blessé qui se
trouvait chez M. Mouffe. M. Duculot accompagna le médecin. Tandis qu’on pensait
le blessé, le commandant fit appeler « le conseiller » et lui demanda
jusqu’où les soldats pouvaient s’avancer sans danger. M. Duculot répondit qu’il
lui était impossible de satisfaire à cette question, car les Français pouvaient
se déplacer à tout moment. Devant l’insistance du chef allemand, M. Duculot,
d’un geste montrant la route, dit : « Voyez vous-même : la route
est libre aussi loin qu’on peut voir, jusqu’à l’église des Alloux ».
Au clocher flottait encore le drapeau belge. Ordre est donné
aussitôt au Conseiller de conduire à la tour un peloton d’une quinzaine de
soldats, qui reçoit mission de faire disparaître notre emblème national.
« Si les civils, dit l’officier, tirent sur les soldats, les soldats
tireront sur vous ».
Au Alloux, M. le Curé vint lui-même ouvrir la porte de
l’église ; un soldat monta au clocher et ne parvint pas à détacher le
drapeau. De retour près de l’officier, le sergent qui était à la tête du
peloton, rendit compte de l’insuccès de sa mission, et M. Duculot fut chargé de
faire retirer du clocher l’emblème national, car ajouta le commandant,
« par ordre supérieur, les couleurs doivent disparaître ; sinon la
lourde artillerie détruira le clocher ». Sur cette menace, les otages
furent remis en liberté et, en signe d’adieu, le chef serra la main du
Conseiller.
Celui-ci, en descendant la rue pour regagner sa demeure,
recommanda une fois encore à la population de rester calme et de rentrer chez
elle ; il vertit M. le Curé du danger que courait le clocher de son église
et promit de lui envoyer un ardoisier pour enlever le drapeau ; en passant
devant la Maison communale, il mit l’adjudant français au courant de
l’emplacement et du nombre des Allemands : il pouvait y avoir à cet
endroit une cinquantaine de cavaliers, et une centaine de fantassins.
…
Les Allemands avaient joint tous les enfants au groupe des
femmes : au moment où ils prirent cette décision, Célestin Duculot, âgé de
onze ans, qui était parmi les hommes, déclara qu’il ne quitterait pas son père,
qu’il voulait mourir avec lui. Il fallut le forcer à rejoindre les femmes.
…
Le 29 août, le commandant de place fit appeler M. Emile
Duculot, le chargea des fonctions de bourgmestre et le tint pour garant de la
sécurité des troupes.
…
Une dizaine de jours après la fusillade, M. Duculot,
accompagné de M. P. Goffin, obtint du commandant la permission de déterrer les
morts et de les inhumer en terre bénite.
…
Le 20 mai 1916, M. le bourgmestre Duculot, reçut une
communication du sergent-major Weber, représentant de l’autorité allemande à
Tamines : faute de mieux, il faut rendre à ce sergent la justice d’avoir
fait preuve de bonne volonté en rédigent sa missive en français. Elle avait
pour objet d’informer le bourgmestre, par ordre du Kaiserliches Gouvernement,
Namur, d’avoir à supprimer le mot « martyr », inscrit sur une
douzaine de croix, comme offensant pour l’amour-propre allemand, ou à le
remplacer par un autre terme, tel que « victime ».
Extrait du livre « La tragédie de Tamines 21-22 et 23
août » par A. Lemaire – Cinquième édition – Tamines Imprimerie
Duculot-Roulin – 1957
Emile Duculot
Tamines date de naissance inconnue,
Tamines 28/09/1934
Lors de l’invasion allemande d’août
1914, l’envahisseur commet un certain nombre d’exactions à l’encontre des
civils dans des villes et communes de Wallonie : incendies, pillages,
exécutions sommaires, etc. Des autorités prises en otages sont froidement
exécutées. Dans la foulée du massacre de Seilles-Andenne, les troupes
allemandes rencontrent la résistance de soldats français lorsqu’elles se
dirigent sur la Sambre. Après avoir utilisé les civils comme boucliers, les
envahisseurs rassemblent la population de Tamines dans l’église locale (21
août). Le lendemain 22 août, 383 civils sont exécutés à coup de fusils et de
mitraillettes. Après Dinant, il s’agit du massacre le plus important connu par
le pays wallon lors de l’invasion allemande de 14-18.
En l’absence de J. Guiot, bourgmestre
faisant fonction qui a quitté la ville et a trouvé refuge en France, Émile
Duculot, jusque-là conseiller communal, accepte de faire provisoirement
fonction de bourgmestre (29 août). Sa mission s’étendra à toute la période de
guerre et se prolongera, officiellement, ensuite, de 1919 à 1921. Frère de
Jules Duculot, l’imprimeur de Gembloux, Émile Duculot prend la responsabilité
d’administrer Tamines durant la période d’occupation, de veiller au sort de ses
administrés traumatisés par les événements, d’assurer une sépulture pour les
nombreux défunts, et de commencer à reconstruire un tissu social tout en
veillant à assurer le ravitaillement. Organisant les œuvres de secours, il
veille à l’approvisionnement de la population et à sa défense vis-à-vis de la
politique de l’occupant. Quant à sa librairie à l’enseigne de L’Abeille, elle
n’avait pas été épargnée par les destructions allemandes : pillée et incendiée,
il n’en restait rien. Après la Grande Guerre, il sera honoré à de multiples
reprises pour le courage et le dévouement qu’il avait déployés en faveur de ses
concitoyens.
En dépit du mot d’ordre d’Union
sacrée et du caractère dramatique des événements, l’administration de la
commune de Tamines est exemplative des fortes tensions qui continuent d’opposer
cléricaux et anticléricaux depuis de très nombreuses années. De nombreuses
situations sont similaires en pays wallon. Bien que disposant de la majorité
lors du scrutin de 1911, le cartel des gauches n’a pas obtenu du ministre
catholique de l’Intérieur la désignation du libéral J. Guiot à la fonction de
bourgmestre. Depuis les rangs de l’opposition, Émile Duculot s’est opposé à la
réorganisation du personnel communal et a usé de ses relais politiques pour
freiner des dossiers locaux que l’État pourrait financer. Alors que le cartel
proposait un poste d’échevin à la minorité catholique, le ministre de
l’Intérieur est demeuré inflexible et Guiot est resté échevin faisant fonction
de bourgmestre quand la guerre a éclaté. La période d’occupation ne va pas
atténuer les tensions. En effet, maintenu dans sa fonction de bourgmestre dans
l’immédiat après-guerre (novembre 1918 – avril 1921), le catholique Émile
Duculot est battu au scrutin communal du 24 avril 1921 par le cartel des
gauches et doit céder son fauteuil à J. Guiot ; sa nomination au maïorat
continue de susciter les mêmes débats qu’avant 14, si ce n’est que s’ajoute en
arrière-plan le comportement des uns et des autres durant l’occupation.
Resté au conseil communal de Tamines,
Émile Duculot ne sera plus bourgmestre, mais entrera au Conseil provincial de
Namur en 1932. Pendant vingt ans, il présidera également la mutuelle La
Taminoise, mais son activité principale s’exerce principalement au sein de
l’imprimerie familiale de Gembloux où il assume des fonctions de direction.
John HORNE, Alan KRAMER, 1914, les
atrocités allemandes, traduit de l’anglais par Hervé-Marie Benoît,
Paris, Tallandier, 2005, p. 58-59
Jean SCHMITZ, Norbert NIEUWLAND,
Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces
de Namur et de Luxembourg, 3e partie, Tamines et le bataille de la Sambre,
Bruxelles, Paris, 1920
Annales parlementaires, Chambre des
Représentants, 19 avril 1912, p. 173
Institut Destrée – Paul Delforge, décembre 2013
Extrait du site http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/duculot-emile
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